« Je détestais l'école. Les professeurs me battaient. J'ai fini par ne plus y retourner. J'ai commencé par laver des voitures. J'ai vendu des légumes avec mon père. J'ai aussi mendié et vendu des chewing-gums. Mais j'ai été victime d'agressivité et d'abus. » Samer, 11 ans, se raconte dans un minifilm d'animation. Il raconte son quotidien dans la rue où il gagne misérablement sa vie pour soutenir sa famille. Fadi n'a que 8 ans. Ce petit Syrien a été abandonné dans la rue par son oncle. Le petit garçon devra apprendre à s'en sortir tout seul, pour se nourrir et fuir les prédateurs sexuels. Comme Samer et Fadi, qui se racontent dans des minifilms d'animation réalisés par l'Unicef, au moins 1 500 enfants entre 5 et 14 ans vivent et travaillent dans la rue au pays du Cèdre, parmi lesquels, les trois quarts (73 %) sont syriens et seulement 10 % détiennent la nationalité libanaise. Mais le chiffre est loin d'être exact vu le nombre important de réfugiés syriens dans la grande précarité. La grande majorité des enfants des rues est constituée de garçons (70 %), contre 30 % de filles. Non seulement leur quotidien est des plus difficiles, mais ils sont confrontés à la violence, la maltraitance, la malnutrition, au trafic, mais aussi au travail forcé, à la prostitution et la drogue.

Mendiants, laveurs de vitres, cireurs de chaussures
Telles sont les observations de l'étude sur « Les enfants vivant et travaillant dans les rues au Liban », publiée hier lors d'une conférence de presse, à l'hôtel Rotana Gefinor, tenue par quatre partenaires, l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Unicef, Save the children et le ministère du Travail. Une étude qui vise à mieux connaître cette réalité, dans le cadre de la lutte contre les pires formes de travail de l'enfance. L'événement, placé sous le patronage du ministre du Travail, Sejaan Azzi, a été marqué par la participation de ce dernier, mais aussi par la présence des ambassadeurs de France, Patrice Paoli, de Belgique, Alex Lenaerts, et du Canada, Michelle Cameron.
Réalisée sur 748 enfants dans le Grand Beyrouth, à Tripoli, Saïda, dans la Békaa et au Akkar, l'étude souligne que seulement 3 % des enfants des rues vivent effectivement dans la rue, dorment sur les trottoirs, sous les ponts ou dans des véhicules désaffectés. De plus, 7 % d'entre eux vivent dans des immeubles en ruine ou des chantiers. Même les enfants qui habitent des logements convenables souffrent de la promiscuité et de conditions de vie difficiles. Il est à noter que 66 % des enfants des rues vivent dans des familles ordinaires, composées de deux parents mariés qui vivent ensemble. Par ailleurs, le quart des enfants (26 %) ont recours à la mendicité, la moitié pratique la mendicité convaincante (vente de chewing-gums, lavage de vitres, diseurs de bonne aventure) et 11 % sont cireurs de chaussures.
Si les images des enfants des rues sont dérangeantes, « le problème est parfaitement gérable », assure Franck Hagemann, directeur général adjoint du Bureau régional de l'OIT pour les pays arabes. Il précise à L'Orient-Le Jour que le nombre d'enfants des rues « n'est pas énorme et atteindrait tout au plus 4 500 enfants, si on multipliait les estimations par trois ». « Une grande partie de ces enfants sont analphabètes (42 %) et n'ont jamais été scolarisés (40 %), 57 % d'entre eux souffrent de décrochage scolaire, la solution réside donc dans l'éducation adaptée de ces enfants, insiste-t-il. Mais pour cela, il faut une volonté politique et quelques bailleurs de fonds qui fournissent les moyens nécessaires. »

Exclusion sociale, vulnérabilité des ménages
« Le problème s'est aggravé avec la crise syrienne », constate le ministre du Travail, Sejaan Azzi. Il estime aussi que les enfants des rues sont « des bombes à retardement, plus particulièrement pour les projets terroristes ». « Nous devons lutter contre cette réalité aussi bien pour l'avenir de ces enfants que pour celui de la société libanaise », affirme-t-il. Mais pour ce faire, il est important « de traduire les études sur le terrain ». Il propose à cette fin « la construction d'une institution qui hébergerait les enfants des rues, où ils seront en lieu sûr », assure-t-il, observant que les coûts de construction d'une telle structure « ne dépasseraient pas les 150 000 dollars ».
« Les enfants des rues sont extrêmement vulnérables à toutes les formes d'exploitation et d'abus. Ces garçons et filles travaillent dans un environnement hasardeux (souvent plus de 8 heures par jour et 6 jours sur 7), ils manquent de la moindre protection adulte, d'orientation, de nourriture et d'amour », déplore de son côté la représentante de l'Unicef, Annamaria Laurini. Évoquant les causes de cette réalité telles que développées par l'étude, elle cite, entre autres, l'exclusion sociale, la vulnérabilité des ménages, le flux des réfugiés syriens au Liban, le crime organisé et l'exploitation des enfants. « Créer un environnement protecteur, où les lois, les services et les pratiques réduisent la vulnérabilité de ces enfants est une priorité pour l'Unicef », dit-elle.
« La prévalence des enfants qui vivent ou travaillent dans la rue est un problème de longue date qui pose un défi persistant, lié aux grandes questions socio-économiques du Liban », souligne de son côté le représentant de Save the children, Ian Rodgers, qui réaffirme l'engagement de son organisation pour la Convention des droits de l'enfant.
Les efforts conjoints de tous les partenaires sont impératifs pour lutter contre le travail des enfants. Mais encore faudrait-il que les solutions envisagées aillent dans le même sens. Ce qui n'est pas encore évident, l'OIT se prononçant pour l'éducation adaptée et le ministre du Travail envisageant le placement en institutions.


Source & Link: L'orient le jour