L'occupation syrienne était un fait accompli au Liban. Par conséquent, Rafic Hariri n'avait d'autre choix que de caresser les Syriens dans le sens du poil. C'était une occupation militaire et le Premier ministre qu'il était à l'époque devait soit démissionner et plier bagage, soit faire des compromis. C'est ce qui ressort principalement du témoignage livré hier devant les juges de la chambre de première instance du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) par Abdelatif Chamaa, ami personnel et bras droit de l'ancien chef de gouvernement, dont l'assassinat fait actuellement l'objet d'un procès devant l'instance judiciaire internationale.

 

S'exprimant par vidéoconférence à partir de Beyrouth, M. Chamaa a été interrogé par la défense, plus précisément par Jad Khalil, le conseil de l'un des cinq accusés, Hassan Habib Merhi, sur les paiements qu'il était sommé de verser, sur ordre de Rafic Hariri, aux Syriens d'abord, aux journalistes libanais ensuite. La défense cite devant le témoin les noms de plusieurs hauts responsables et officiers syriens – Rustom Ghazalé, Hikmat Chehabi, Abdel Salam Daghestani – lui demandant de commenter des propos publiés sur le site Arabionline, en mars 2015. Le média rapporte des propos qui auraient été avancés par l'ancien chef des services de renseignements syriens au Liban, Rustom Ghazalé, dans lesquels ce dernier affirme que M. Hariri lui versait jusqu'à concurrence de 300 000 dollars, une somme qu'il désirait voir payée, selon lui, « à ses opposants pour acheter leur silence et faire en sorte qu'ils occultent les violations que Rafic Hariri commettait ».

« Vous voulez que je réponde à des propos véhiculés par la presse ? » s'exclame le témoin avant de voir le représentant du bureau du procureur, Graeme Cameron, puis le président de la Chambre de première instance, David Re, interrompre la défense pour lui reprocher de se fonder sur des informations de presse non confirmées. M. Khalil relance le témoin – qui avait lors d'une audience précédente affirmé qu'il versait régulièrement, via Rafic Hariri, des sommes d'argent à Rustom Ghazalé – pour savoir si l'ancien Premier ministre payait également des « rétributions » à Ghazi Kanaan, son prédécesseur. Ce à quoi M. Chamaa répond qu'effectivement il entendait dire que M. Hariri obtempérait lorsque M. Kanaan lui demandait « de l'aide », parce qu'« il voulait que les choses puissent fonctionner comme il se doit dans le pays qui était sous tutelle syrienne ». « Il me disait que tout ce que nous faisions, c'était de racheter le Liban (des Syriens, ndlr). Il savait que pour cela, le prix était élevé mais il était prêt à le payer. »
Le témoin ajoute que les Syriens pensaient que l'ancien Premier ministre « aspirait au pouvoir et à l'hégémonie, alors que tout ce qui l'intéressait c'était de réformer le pays ».


La défense lui soumet une photo dans laquelle on peut clairement voir les deux officiers syriens, Kanaan et Ghazalé, avec Rafic Hariri, prise à l'occasion de la passation des pouvoirs entre les deux officiers au cours de laquelle l'ancien Premier ministre a remis la clé de Beyrouth à Kanaan, en signe de remerciements pour « services rendus au Liban ». Devant l'étonnement à peine contenu de M. Khalil, le témoin explique qu'il s'agissait tout simplement d'une manière de contourner la présence syrienne au Liban « qui était un fait accompli ». Rafic Hariri « cherchait à les ménager », dit-il. Plus tard, la défense revient sur cette célèbre clé et lui repose la question. M. Chamaa lui répond, agacé, par cette formule : « Une personne se voit parfois contrainte de sourire à son bourreau. »


À plusieurs reprises, M. Khalil est interrompu par le juge Re, qui lui demande tantôt de préciser ses questions, tantôt de faire preuve de rigueur en lui rappelant notamment que le témoin a déjà répondu à la question, allant même jusqu'à reprendre lui-même les questions de la défense pour les reformuler de manière plus intelligible et les poser au témoin, cachant à peine son irritation face à la lenteur du processus et l'imprécision des questions. C'est notamment le cas lorsque M. Khalil demande si le témoin était au courant des travaux présumés en cours sur le lieu du crime à la veille de l'assassinat. Ce à quoi M. Chamaa répond en avoir effectivement « entendu parler au lendemain de l'assassinat », sans plus. M. Khalil persiste en lui demandant, à l'occasion d'une autre question, s'il n'avait pas eu plutôt peur d'accompagner M. Hariri le jour de l'assassinat sachant « que vous étiez au courant des travaux et des informations véhiculées par Bassel Fleyhane (ancien ministre, également victime de l'attentat du 14 février 2005)


sur les risques potentiels d'un assassinat ». La question irrite au plus haut point le témoin qui proteste devant les juges : « Je ne sais pas si une telle question est admise dans la procédure. Une question de ce type n'est autre qu'une accusation camouflée. Je me demande si les juges peuvent accepter une telle chose », s'offusque M. Chamaa avant de se reprendre : « Je vous ai pourtant dit que je n'étais pas au courant des travaux avant le jour de l'assassinat ». « Vous êtes en train de poser cette question à une personne qui aurait voulu mourir en martyr avec le Premier ministre », ajoute le témoin, pouvant à peine contenir son émotion. L'irritation de ce dernier est également perceptible lorsque la défense lui pose la question de savoir si les deux journalistes – Mohammad Choukair du Hayat et Fayçal Salman du Safir – qui servaient de messagers auprès des officiers syriens, touchaient également de l'argent de Rafic Hariri. Ce à quoi M. Chamaa répond par la négative, insistant sur le fait que le lien qu'ils « entretenaient avec l'ancien Premier ministre était un lien purement amical ». La défense revient à la charge et le relance par une autre question pour savoir si « le journaliste du Nahar » Tarek Tarchichi a effectivement touché la somme de 70 000 dollars de Rafic Hariri par le biais de Fayçal Salman. « Je ne m'en souviens pas. Cela peut être vrai », répond M. Chamaa.


Source & Link: L'orient le jour