Un rapport accablant de la Lebanese Physical Handicapped Union rendu public hier recense 646 infractions de toutes sortes commises durant les élections municipales à l'encontre des électeurs handicapés, mais également de ceux du troisième âge, vulnérables eux aussi.
 

Les dernières élections municipales au Liban ont montré à quel point les handicapés et les personnes âgées sont mis au ban de la société. Car, pour pouvoir se rendre aux bureaux de vote, il vaut mieux être en bonne santé, c'est-à-dire disposer au moins de ses jambes et ne pas souffrir de problèmes cardiaques très graves afin de pouvoir gravir les nombreux escaliers menant aux salles de vote. Les élections se déroulent la plupart du temps dans les bâtiments des écoles publiques, qui à la base ne sont pas équipés pour les handicapés. Dès lors, l'exercice du droit de vote devient un vrai parcours du combattant puisqu'il faut souvent grimper plusieurs étages avant d'accéder aux bureaux de vote installés dans les salles de classe.


Pour un handicapé venant voter, ou même une personne du troisième âge ayant des difficultés motrices, il n'y a malheureusement pas d'autre alternative que de se faire porter sur une chaise afin d'arriver au bureau de vote, chose assez humiliante pour la personne en question, voire dangereuse dans certains cas. C'est ce que Jihad Ismaïl, membre de la LPHU, a expliqué hier lors d'une conférence de presse organisée dans les locaux de la Lebanese Association for Democratic Elections (Lade), à Sodeco. « Si on porte les handicapés de manière incorrecte, on peut leur occasionner des blessures et des dommages physiques, note-t-il.


D'ailleurs, il s'agit d'une violation de la liberté de ces personnes qui se répercute instantanément sur leur état psychique, sans compter les pressions qu'on exerce sur elles, en leur donnant un papier avec les noms écrits dessus soi-disant pour les aider, un peu comme la pression qu'on exerce sur les analphabètes. Les élections de 2016 ont été les plus humiliantes aussi bien pour les personnes âgées que pour les handicapés, puisqu'ils font partie des catégories les plus vulnérables », souligne M. Ismaïl. « Si les handicapés atteints à la colonne vertébrale se cassent quelque chose pendant qu'on les porte, ils ne peuvent même pas le sentir. Quant aux personnes âgées, elles peuvent tomber ou être bousculées. Un coup sur la tête peut être mortel », indique pour sa part Sylvana Lakkis, présidente de la LPHU.


Elle ajoute avoir reçu des informations de la chaîne LBC selon lesquelles deux personnes âgées sont mortes dans les bureaux de vote lors du dernier dimanche des élections dans le nord du pays. « Nous avons appris, par le biais de la LBC, qu'un homme de plus de 80 ans est décédé alors qu'il montait les escaliers du bureau de vote vers le troisième étage. Une dame âgée a également péri étouffée après avoir été bousculée pendant les élections. Ces personnes sont de Zahriyé, à Tripoli, et de Sir Denniyé. Nous avons essayé d'obtenir leurs noms pour contacter leurs familles mais ça n'a pas été possible », précise Mme Lakkis.


Voter, oui, mais à quel prix ?
Présente dans les centres de vote par le biais d'une centaine de volontaires, la LPHU, qui travaillait dans le cadre d'une campagne pour les droits des handicapés baptisée « Mon droit », s'est donné pour mission de noter toutes les infractions commises à l'égard des électeurs handicapés. Les volontaires ont observé 120 bureaux de vote dans les mohafazats de Beyrouth, de Baalbeck-Hermel, du Mont-Liban et du Sud, et relevé 646 infractions commises pendant les quatre dimanches des municipales.


Selon le bilan de la LPHU, 90 % des entraves rencontrées par les handicapés étaient d'ordre architectural et logistique, et concernent les entrées inaccessibles, les escaliers et l'absence d'ascenseurs sur les lieux de vote. 75 % des handicapés ont eu du mal à accéder aux urnes et 64,2 % ont dû être portés sur les escaliers. Dans 12,5 % des cas observés, les chefs des bureaux de vote sont illégalement intervenus dans le processus et 5,8 % des électeurs handicapés ont été malmenés par les représentants des candidats. Pas de parking non plus à proximité des centres de vote dans 47,5 % des cas.


« Sur 500 écoles publiques transformées en centres de vote, seul le lycée Omar Farroukh à Cola était accessible aux handicapés. Construit après 2006, avec 5 autres écoles, il fait partie d'un des rares établissements scolaires adaptés aux personnes aux besoins spécifiques », indique Mme Lakkis.
« À Jounieh, dans un des bureaux de vote, deux handicapés ont été transportés sur des chaises pour remplir leur devoir électoral, puis, une fois leur bulletin déposé, on leur a dit qu'on ne pouvait pas les ramener tout de suite et on les a laissés sur place pendant plusieurs heures », dénonce la présidente de la LPHU. « Beaucoup de handicapés ont refusé de voter à cause de leurs mauvaises expériences lors des élections précédentes. Un jeune nous a confié qu'il n'a pas voté cette année parce que, lors des dernières municipales, on l'avait laissé pendant une journée au 4e étage où il avait déposé son bulletin », confie-t-elle.


« J'ai même vu la photo d'un agent des Forces de sécurité intérieure portant une femme sur le dos comme si c'était un sac. J'ai montré cette photo au ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk. Il était gêné et s'est excusé en me disant que le ministère faisait ce qu'il pouvait, indique Mme Lakkis. Le ministère de l'Intérieur a donné des directives pour faciliter le vote des handicapés, mais, malheureusement, cela voulait dire les porter sur les escaliers. Ceci est une atteinte à leur dignité », ajoute-t-elle.


Zeina Hélou, secrétaire générale de Lade, s'insurge également contre l'absence de mesures en faveur des électeurs atteints d'un handicap. « Pourtant, la loi 220/2000 respecte les droits des handicapés mais elle n'est pas appliquée, notamment en termes d'architecture et d'accès aux lieux publics », indique-t-elle. Mme Hélou rappelle également que le Liban a signé en 2006, mais sans la ratifier, la Convention internationale pour les droits des personnes handicapées. « Cette année, il y a eu plus d'infractions que lors des municipales de 2010. En 2010, plusieurs salles de vote avaient été aménagées dans les rez-de-chaussée », souligne-t-elle.

 


Source & Link: L'Orient le Jour